Moi aussi j’ai fait un rêve.
Il est certes moins ambitieux que celui du pasteur King, mais il m’anime et m’émeut chaque jour que Dieu fait.
Dans ce rêve, je n’ai pas besoin de me lever à l’aube pour m’occuper de mes cheveux.
Dans ce rêve, je sors de la douche la crinière mouillée et l’air frais du matin la fait sécher naturellement. Je n’y pense même pas. Je ne surveille pas constamment si ça gonfle, si c’est en place. J’y passe mes doigts délicieusement sans qu’ils ne s’y accrochent. Il n’y a pas de barrage. Pas de check point.
Dans ce rêve, le lisseur n’existe pas. Et je n’angoisse pas à l’idée qu’il pleuve car je n’ai pas la Simba Phobia, (syndrome courant mais méconnu).
Dans ce rêve, je m’accepte telle que je suis, j’honore ce que la nature m’a donné sans chercher à me travestir ou à calquer un modèle hégémonique auquel j’ai été contrainte de m’identifier faute de mieux.
Non, je n’aurais jamais les cheveux de Barbie, je l’ai compris bien assez tôt.
Cette guerre capillaire, je suis loin d’être la seule à la vivre au quotidien.
J’ai découvert en passant d’un tuto à un autre sur youtube qu’on avait mis sur le marché une torture qui m’a été infligée toute mon enfance pour discipliner mes cheveux.
Le Kardoun.
À le prononcer ce mot, il est doux et mignon.
Le Kardoun est une technique qui nous vient du Maghreb et qui consiste à enrouler un long ruban en coton tissé autour des cheveux. Elle permet de les lisser et de les dompter sans les abîmer avec la chaleur. Ça remonte à mon arrière grand-mère, qui a transmis ce savoir à ma grand-mère, puis à ma mère, et je m’étais dit : Wowowo, ça s’arrêtera à moi ce calvaire !
À l’aire de jeux, ma mère nous avait emmené jouer, ma sœur et moi, avec ce Kardoun qui nous serrait les cheveux. Elle n’avait pas trouvé mieux qu’un bandage médical en guise de ruban. Les copines au parc nous pensaient « accidentées ». L’une d’elles avait demandé : « Vous êtes blessées aux cheveux ? ». Evidemment, nous avions répondu : « Oui ».
Bien sûr que nous étions blessées.
Il fallait déjà avoir mal. Depuis l’enfance. Déjà intérioriser la honte. Il nous fallait transformer notre nature et admettre que nos cheveux n’étaient pas beaux tels qu’ils étaient. Il fallait les discipliner.
À l’adolescence, début des années 90, bien avant l’arrivée des super lissages, nous avions pratiqué les défrisants chimiques agressifs destinés aux femmes noires. C’était la seule solution. Nous allions acheter ces produits dans les boutiques spécialisées du quartier Château d’Eau.
Évidemment, le résultat n’était pas à la hauteur de nos attentes. Les cheveux étaient brûlés, mutilés, le cuir chevelu irrité. Je me demande même si en raison de leur toxicité, certains produits n’ont pas eu une influence directe sur ma bipolarité actuelle ?
Ca donnait un effet casque rigide ambiance Playmobil, en avant les histoires. C’était l’ère de la maltraitance capillaire.
Et puis, la révolution du lissage brésilien à la kératine a changé la face du monde, ce produit qu’on applique plusieurs fois par an, chaque fois que la nature reprend ses droits, après quelques centimètres de repousses, a fait des miracles. On en oubliait presque que cette souplesse était totalement fake.
À 30 ans passés, après ces expériences plus ou moins réussies, je suis tombée sur l’interview de la fondatrice du mouvement Hrach is Beautiful (le cheveu crépu est beau). Et outre la démarche militante de ce mouvement, et son invitation à s’aimer et à s’accepter, c’est aussi, une manière de réaliser ce rêve du matin. C’est enfin la possibilité de gagner du temps. Car nier sa nature est chronophage.
Voilà un nouveau chapitre qui s’ouvre.
Je suis à deux doigts d’être belle, pour cela il faut commencer par s’aimer et arrêter de s’infliger des tortures qui n’en finissent pas. Pour cela, il faut renoncer à tricher, à se mentir. Le monde doit être prêt à m’accueillir avec mes cheveux hrach. Et le monde commence par moi.
Il y a des huiles naturelles dont les vertus ne sont plus à prouver. L’huile de coco ou l’huile d’Argan par exemple. Et j’avais négligé l’Argan qui plaisait tant aux touristes qui venaient visiter l’Atlas Marocain et emportait une bouteille dans leur valise comme s’ils emportaient un miracle bien de chez nous.
Revenons à la source. Traitons nos cheveux naturels avec respect. Je suis en transition. Je renonce à tricher. Le pasteur King a raison, il faut suivre ses rêves.
Faïza Guène
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Faïza Guène est née en 1985 à Bobigny. Découverte par un professeur de français lors d’un atelier d’écriture, elle rédige son premier roman Kiffe-Kiffe Demain alors qu’elle avait 17 ans à peine. C’est un énorme succès, il sera vendu à 500.000 exemplaires et traduit dans plus de 26 pays. Elle en est à son cinquième roman, toujours sur un ton léger, elle continue de décortiquer la société avec pertinence et humour.
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