Elles ont inventé l’homme qui s’en est servi d’outil il y a trois millions d’années. Elles ont édifié les pyramides et les cathédrales. Orné les couronnes des plus grands. Elles ont été élevées et vénérées. Désormais, les pierres prennent place dans nos intérieurs et s’invitent dans nos cosmétiques. Servant à la beauté, elles seraient non seulement au service de notre panache, mais possèderaient des vertus curatrices. Comment ? Par la résonnance et l’énergie qu’elles émettraient, les belles pierres nous prodigueraient bien-être et sérénité à la condition de savoir les employer. Credo de la lithothérapie, ces pratiques à mi-chemin entre soin et méditation envahissent le fatras du marché de la spiritualisé et nous laissent parfois perplexes. Aujourd’hui si l’on profite des vertus de ces cristaux sur notre peau on va jusqu’à faire appel au minéral pour se remonter le moral. Alors ces cailloux ont-ils vraiment les vertus que nous leur prêtons ?
On fait confiance aux recettes de nos grands-mères
La pierre ponce et la pierre d’Alun ont fait partie du quotidien de nos aïeuls, deux madeleines de Proust pour le moins rassurantes et efficaces. La première de par son action abrasive faite pour exfolier et gommer s’est trouvé de tout temps au service de la beauté des pieds. Petit plus que nos patriarches n’ont pas connu : la pierre ponce en laine qui colore joyeusement notre salle de bain. Quant à la seconde, la belle se pâme en transparence et s’étoffe de manière spectaculaire et élégante si on l’utilise mouillée. Exit les sudations incommodantes et les rougeurs dues au rasage. Deux simplicités à petit prix, connues depuis la nuit des temps. Nous voici soulagés. Mais quid de toutes les autres ?
Le grand intérêt des pierres au Moyen Âge
Les lapidaires nous offrent une expertise élogieuse des pierres précieuses. On peut en attribuer l’origine à Marbode de Rennes, père de la littérature scientifique médiévale. Vous avez dit scientifique ? Oui, car sans le savoir il est le premier à décrire en vers plus de soixante pierres pour en recenser leur utilisation en médecine. Ainsi l’agathe « fortifie celui qui la porte et lui donne des forces ; elle donne de la faconde, de la grâce, un beau teint, une faculté de persuader qui plaît au monde et à Dieu. » Si le saphir vivifie le corps, le béryl soigne les douleurs du foie. Quant à l’améthyste, son nom formé du préfixe privatif « a » et de methustes, l’ivrogne, empêche l’ébriété. Une nymphe portant ce nom avait été transformée en pierre par Diane, qui voulait la protéger des ardeurs de Bacchus, lequel se dégrisa au contact de cette pierre froide et rougie par le vin qu’il répandait sur elle. Son étymologie aura traversé les siècles puisqu’aujourd’hui encore, voisine de la pourpre, cette gemme est toujours utilisée pour combattre les intoxications.
Les recettes loufoques
Penchons-nous à présent sur quelques recettes pour le moins surprenantes. Si le diamant rend invincible, il s’affaiblit quand on le chauffe avec du sang de bouc. Que l’on soit rassuré, cette expression imagée pourrait désigner une sorte de pâte abrasive. En revanche nous ne pourrons contourner la recette de l’hématite qui consiste à mélanger les copeaux de sa taille avec un œuf et le suc que donnent les pommes puniques, autrement dit la grenade. Broyé dans un mortier médicinal, le mélange qui semble n’avoir de médicinal que le mortier, guérirait des ulcères et ralentirait l’écoulement dont souffre la femme. On ne saurait résister au plaisir de la sélénite, qui, « portée pendant tout le temps de la lune croissante, mais aussi dans le temps qui s’écoule quand elle diminue, produit de merveilleux effets et apporte de multiples avantages ». On est sûr de ne pas se tromper.
Certitude quand tu nous tiens
La galactide que nous suspectons fort d’être en vérité le kaolin, est efficace lorsqu’elle est « broyée avec du vin sucré, et augmente le lait de celle qui en boit ». Mais attention, le mode d’administration mentionne « à condition d’avoir été prise après un bain et avant un repas ». Rigueur et précision sont les conditions des substantifiques décoctions !
Si nous émettons quelques doutes, Marbode en était persuadé : celui qui porte de la gérachite et qui expose son corps nu après l’avoir enduit de lait et de miel, verra l’essaim d’abeilles le laisser sans le toucher. Observons aussi que nos ancêtres n’avaient pas peur des bézoards, terme désignant des pierres qui se forment dans le corps d’animaux. Chelidon qui signifie hirondelle en grec, permet de supposer que la chélidoine est une pierre produite par celles qui nous annoncent avec non moins de certitudes, l’arrivée du printemps. Tout comme l’alectoire naît dans le gosier du coq, la crapaudine naît dans la tête du crapaud et la dracontite dans celle du dragon. Les noms que nos belles portent n’ont pas seulement été réinterprétés en vertus, elles ont également été tenues pour des êtres vivants, pouvant se reproduire, croître et avoir des sentiments. Chateaubriand s’exclamait à leur propos « On dit que les pierres ne parlent pas, ne sentent pas. Quelle erreur ! »
Mesdames sachez encore que « l’ambre rend l’homme fidèle, agréable en toute chose, et vigoureux sous l’aiguillon de Vénus ». Qu’elles portent le nom de quartz, opale, jaspe ou onyx, rien n’est impossible aux pierres, du moins à ceux qui les décrivent. Tenues pour être habitées par des puissances sacrées, elles protègent, guérissent les maux, exaucent les vœux et apaisent les chagrins amoureux.
Un savoir-faire pérenne depuis l’Antiquité
Profilées par les médecines traditionnelles chinoises et ayurvédiques on découvre que des aiguilles d’acupuncture en quartz ou tourmaline faisaient partie des instruments du Shennong bencao jing, le plus ancien traité de médecine chinoise. Partons à la découverte du jade, pierre de l’immortalité et apanage des empereurs, véritable trésor minéral. Utilisé en massages sur la peau il permet une meilleure circulation liée à une action détoxifiante. Rituel de beauté ancestrale, son emploi régénère ainsi plus facilement nos cellules et nous fait la promesse d’une mine radieuse. Ah le quartz rose ! Ses premières utilisations remontent à 7000 ans. Présent dans toutes les civilisations il se décline en polissoir, pointes de flèches, amulettes et philtre d’amour. Le silicium qu’il contient protège les fibres de collagène, assure douceur et jeunesse de la peau. Symbolique de l’amour et de la paix, Louis XIV en fut friand. Et si vous osiez de même en accepter les vertus ?
Ne délaissons pas pour autant l’opale blanche qui tonifie nos tissus. Jouons le contraste avec la Shungite et se fullerènes, puissants antioxydants, en se laissant porter par la magnificence d’un tsar russe qui lui fit ériger un palais pour ses nombreux bienfaits. Devenu une station thermale, les Russes s’y baignent et boivent l’eau qui percole à travers le précieux Graal. À votre tour, laissez agir le petit galet lors d’un délicieux bain !
Si les listes vous embrouillent et vous donnent le tournis, fiez-vous à la magnétite pour ne pas perdre le Nord. Utile aux marins, le lapidaire de Jean de Mandeville nous rapporte au XIVe siècle que « par une aiguille elle leur démontre les parties du ciel ».
Vous l’aurez compris, à l’impossible exhaustivité, chaque pierre est une histoire légendaire, possédant couleurs et propriétés qui font rêver. Et finalement, peu importe les débats entre le croire et le savoir, les gemmes participent à notre beauté à la condition de ne pas s’enticher de breloques de marché et de raison savoir garder.
Mettre du sens aux pratiques
On dit un grand oui à tous ces cailloux parce qu’ils embellissent nos intérieurs, redonnent de la couleur, s’abandonnent entre nos mains pour nous permettre un véritable lâcher-prise sur stress qui nous fane et nous tanne. En rendant visite à notre intériorité sensorielle ces pierres intemporelles rendent grâce à un temps que l’on voudra désormais courtois en étant attentif à soi.
écrit Jean de Renou au XVIIe siècle. Nous savons désormais que nous avons échappé aux charlatans en redevenant nos propres médecins d’antan. Inclinons-nous aux représentations courtoises qui associent la présence des pierres au rang social, à la puissance et la richesse de leurs possesseurs. À chacun son cristal !
Par Caroline Amberger
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