C'est ce que j'aime. La nuit, depuis quelques temps, je la crains un peu. Elle ne m'apporte qu'insomnie, ce n'est pas toujours agréable.
C'est curieux. Donc la nuit, pour moi, est un temps de réflexion.
De la folie, de la joie, de l'alcool, danser, faire l'amour, s'amuser, jouer… L'essentiel de ma vie, ce sont les nuits, plus belles que des jours.
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Est ce que la nuit, c'est votre jour préféré ? Tout à fait. Il y a une certaine impunité que je savoure. Il y a une chaleur, une moiteur, un parfum, parfois une odeur. La nuit est une chose sensuelle, sexuelle et folle. C'est un moment de vie assez intense. Le jour, les animaux bougent, les gens remuent… Le jour, c'est une sorte d'activité utile. La nuit, c'est une activité inutile et jouissive. |
C'était très drôle. Les gens se révélaient sans honte et sans fard. Les gens parlaient. Ils se racontaient. Et on s'aimait beaucoup. Il y avait beaucoup de sensualité et de sexualité, la nuit. C'était un moment très intense.
Non, pas du tout libertin… Bien plus que ça. Les vies se faisaient et se défaisaient, on aimait et on désaimait, on trompait…
Non, la nuit était la récompense du jour. J'ai rencontré Miles à un concert. J'étais dans les coulisses avec la femme de Boris. J'ai vu Miles de profil… Et je l'ai vu de face. Ca été très curieux, cette rencontre. Boris, je le voyais au Bar Vert dans la rue Jacob. Je parlais pas à cette époque là, j'étais fâché avec la parole. J'écoutais, et les gens parlaient. Sans Boris, j'aurais jamais parlé. C'est lui qui m'a rendu la parole. J'ai eu le moins cher et le plus séduisant des psychiatres. On se rencontrait tous là-bas où même venaient des mecs d'extrême droite, ce qui m'a valu une bagarre. Je me battais beaucoup. Je cognais beaucoup de types. Quand il n'y a pas de mots, qu'est ce qu'on fait?
Et redoutable.
Sans doute, l'obscurantisme. L'absence d'écoute de l'autre, ça me fait peur. Comment porter un jugement sans entendre? Les cons me font peur. Ca me fout les boules. Et les serpents.
Non. C'était inimaginable. Quand on a 16 ou 20 ans, on a pas peur de la fin. On la choisit parfois. Ce qui est grave. On se suicide, mais on a pas peur de la fin. Au contraire. On pensait que tout allait dans notre sens, on se battait pour la liberté. Un combat parfaitement utopique et extrêmement magnifique.
Beaucoup plus tard. La solitude, ça n'existe pas, c'est pas vrai. J'ai une solitude extrêmement peuplé , j'ai des murs où il y a un monde fou.
La première fois, c'était au Boeuf sur le toit. J'avais mon chandail noir, comme toujours, mon pantalon. C'était un endroit magnifique. On a battu le rappel des copains pour jouer une pièce surréaliste de Roger Vitrac. On avait un client, fidèle, actif et amoureux, qui s'appelait Marlon Brandon qui me ramenait à mon hôtel sur le porte bagage de son Solex…
Je crois pas. Il me branchait pas du tout. Je le trouvais magnifique. Mais il y avait cette espèce de folie destructrice dans le regard. Je l'aimais beaucoup. C'était un bon copain. Mais j'imagine que c'était pas la meilleure affaire du monde. Il y a des choses qu'il faut pas faire, qui sont inutiles. Le corps est parfois inutile. Et ça, je suis assez bonne.
Ca s'appelle le désir. Je n'ai jamais désiré Boris, par exemple. Je l'ai aimé, je l'ai pas désiré. Le désir, c'est une chose particulière.
C'était écrit pour une strip-teaseuse. La fille n'a pas voulu la chanter, elle devait trouver trop osée Gaby Verlor a fait la musique, on s'aimait bien toutes les deux, elle est venue, elle m'a dit : "Ecoutez Juliette, voilà, il y a une strip-teaseuse qui n'a pas voulu la chanter, est ce que ça vous intéresse ?" J'ai écouté, et j'ai dit : "Et vous, déshabillez vous". Ca a transformé complètement la chanson. C'est une autre chanson.
A quelqu'un. A un connard qui est en face de moi et qui ne comprend rien. Un connard qui me plait, probablement, ça dépend des soirs. Il me plait plus ou moins, il m'irrite plus ou moins, il m'appelle plus ou moins.
Comme un acteur croit à son personnage. Moi, je peux chanter une fille de 16 ans sans inquiétude. Et une femme de 86 ans, sans inquiétude non plus. On croit au personnage, c'est tout. Mais ce n'est pas moi. Il faut ressentir tous les sentiments. Il faut se mettre dans la peau du personnage. En revanche, "J'arrive", une chanson de dialogue avec la mort, ça peut être moi. Une chanson de Brel et Jouannest, les mots dans ma bouche peuvent être les miens.
C'est pareil. Ce sont deux sentiments très forts. C'est un exercice extraordinairement périlleux que de chanter 26 chansons qui sont 26 personnages différents.
Quel amour? Quel amour? Il y en a tant !
Ca ne se chante pas, ça ne se dit pas. Je pense que ça doit se ressentir d'une manière abominable, sûrement. Mais moi je sais pas, je connais pas. C'est quoi l'amour impossible ? Etre amoureux de Marilyn Monroe, c'est ça l'amour impossible?
Ca ne m'est jamais arrivé. Je n'ai pas eu de déception de ce côté là, j'ai de la veine. Quand quelqu'un m'a plu, ça s'est avéré être réciproque.
Certaine.
Affreux. Magnifique. Et affreux. D'autant que le mec est mort, et que j'avais dix neuf ans. Il était beaucoup plus âgé que moi. C'est peut être le fait qu'il soit mort que la chose est si belle, mais en tout cas la chose est belle, très belle. Ca s'appelle l'amour pur. Après ça, on aime différemment, on aime pour des raisons. On n'aime pas sans raisons. Ca existe d'aimer.
On est dépossédé surtout, quand ça s'en va. La jeunesse est un moment où c'est beau. Où tout a une vraie place. D'ailleurs, j'ai pas beaucoup évolué. Je crois en tout moi. Tout ce à quoi je croyais, j'y crois. La jeunesse, il faut la garder, c'est la beauté. La pureté des sentiments.
Parce que le sang est rouge. Un jour, ma mère a ramené ma fille au restaurant chinois, et les enfants sont racistes. Donc ma fille voit rentrer un noir avec une blonde. Et ma fille dit à ma mère : ''Tu as vu Mamie, c'est bizarre ?" Et ma mère a dit : "Tu vois, si tu coupes le poignet de cette fille, le sang est rouge. Et si tu coupes le poignet du gars, le sang est rouge." Ma mère n'était pas une mère mais elle avait un personnage formidable.
C'est les mecs, ça. Je dis que l'amour est à l'intérieur du coeur comme une chambre rouge. Quand tu aimes, tu as l'impression que dans ton coeur il y a des coussins en velours, que tout est rouge. Mais le rouge ça a toujours été la révolution, la contestation...
Bien sur.
Oui, peut être. Je pense pas en couleurs. Quelquefois les odeurs, les parfums. J'aime bien la chaleur humaine. J'aime bien le parfum de l'autre, l'odeur de l'autre. Sauf s'il pue.
Et y'a l'odeur. L'amour, c'est très réconfortant, ça fait très plaisir. C'est comme boire un verre d'eau quand on a soif. C'est une chose magnifique, un cadeau. Mais il faut bien choisir.
Bien sûr. J'ai jamais vu la différence entre un homme et une femme. Le désir est une chose incontrôlable. Pourquoi un homme désirerait pas un homme? J'ai jamais compris ces histoires de corps, de culs. C'est stupide, c'est ridicule.
Évidemment. Heureusement pour moi, je vais pas mourir idiote.
Semblables. Terriblement semblables, calquées l'une sur l'autre. La même blondeur, le même maquillage, les mêmes seins, la même bouche, c'est terrible. C'est comme une sorte de régime totalitaire, on t'oblige à être comme ça. Tu en prends 25, mâle ou femelle, et c'est les mêmes ! Mais moi, personne m'obligera jamais à être autre chose que ce que j'ai envie d'être. Pour plaire, il faut avoir des gros seins, de grandes jambes et il faut avoir la chatte épilée comme un timbre-poste. C'est quoi ça? Ou je suis là? Le désir, il est dans la diversité.
Non, ça m'ennuie. On est même pas dans une période d'évolution, on régresse, on revient en arrière. On revient à l'époque barbare.
Non. Mais quand je regarde les chansons, je vois dix filles identiques. Moi, j'ai inventé la frange avec les cheveux longs, alors j'en vois 25 000 avec la frange et les cheveux longs maintenant. Ca va pas du tout! Moi, j'ai eu la chance d'arriver dans un monde où il y avait un Brel, un Brassens, un Ferrat, une Barbara, un Ferré. Tous complètement différents et une sorte d'amour réciproque. Surtout, une sorte d'absence totale d'asservissement à l'argent. On était des êtres libres, des électrons libres. Maintenant, ce sont des créatures fabriquées par la mode. Moi j'aime la mode, j'adore ça, je trouve ça magnifique. Mais entendons nous, certains, comme l'a fait Yves Saint Laurent.
Beau et muet. Inquiet, recroquevillé dans le coin d'un canapé. Un être magnifique. Je suis sa dernière sortie, je m'en serais passée. Il est venu, deux fois. Et après il est parti. Je ne sais pas où. Quand ils nous quittent, on ne sait pas ou ils vont. Ils sont très mal élevés.
Encore heureux que ce ne soit pas réservé qu'à quelques uns. C'est la seule chose qui est inéluctable. Mais elle n'est pas non plus juste, pas du tout. La fin des gens est très injuste.
La mort, c'est incolore.
C'est épouvantable. Sans retour. C'est la seule chose à la fois juste et injuste dans la forme. Pourquoi celui meurt d'un cancer et dans des conditions abominables? Pourquoi une femme de quarante ans meurt d'un cancer du sein? La mort c'est quelque chose de terrible, mais utile. Moi ça m'est égal de mourir, complètement. Et puis, s'il n'y a pas la mort, il y a la déchéance. Et puis, et puis...
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